Maman me presse contre son ventre grossi. J'entends un étrange bruit et je crie, apeurée. Ma mère sourit, amusée et me caresse la tête. "Ne t'inquiète pas, c'est juste le bébé." Je penche ma tête et retient ma petite larme tombante. Je souris à mon tour, mièvrement, comme une enfant naïve et idiote de mon âge. C’est idiot.

Je suis seule. Maman m'a dit qu'elle va bientôt revenir avec papa. Pour l'instant, elle me laisse avec une autre personne, elle m'a dit de l'appeler "tatie". Je ne comprends pas très bien. Papa m’a dit que « tatie » était sa sœur. Dernièrement, j'ai entendue maman crier, et je n'ai pas compris pourquoi. En attendant, la dame que je dois appeler "tatie" est très gentille avec moi. Je dois rester avec elle pour 3 jours. Je lui ai demandé pourquoi elle n'avait pas de fiancé, mais elle m'a juste dit qu'il était parti, très loin. Et elle m'a tapoté gentiment la tête. J'adore ses cheveux roux. Tatie est douée pour monter à cheval, elle a un don. En fait, chez elle, il y a plein de poneys et de chevaux. J'ai le droit de les monter. J'adore passer des moments avec Tatie. Elle est gentille avec moi, et en plus, elle sent bon. Le soir, elle déplie un canapé pour moi. Ça me change de mon petit lit à baldaquin de princesse, mais je m'y habitue vite. La nuit, je pleure. Je me demande si maman et papa ne m'ont pas oublié. Tatie se lève et sèche mes larmes en me disant qu'ils reviendront bientôt. Je voudrai être comme elle, forte, et aussi jolie. Mais comme le pourrais-je? Avec des cheveux aussi dépourvue de couleur que les miens? Avec des yeux si disgracieux? Je lui dis tout ce que j'ai sur le cœur, et elle me dit en riant: "Tu es comme moi à ton âge. Moi aussi, avant, je détestais mes cheveux rouges, aussi voyants. Il faut que tu transformes tes défauts en qualités. Ce que tu trouves si hideux te rendra plus jolie et te rendra unique. Il faut que tout le monde te remarque!" C'est vrai, Tatie aime qu'on la remarque. Pourtant, elle n'est pas orgueilleuse. Je me mis soudainement à aimer mes yeux vairons et mes cheveux blancs.


Maman vient me chercher, avec papa et "le" bébé. Je vois, dans un landau deux adorables petites poupées blanches, les yeux clos. J'écarquille mes yeux, et j'ose à peine les toucher. Elles ont l'air si fragile... Et si proches. Je touche leurs petits fronts blancs, et m'écarte soudainement. Ayana et Ayame. C'est comme ça qu'elles s'appelaient. Maman avait dit qu'elle voulait faire original, avec deux prénoms qui se ressemblaient.

Maman avait emmené les deux petites jumelles chez le coiffeur, ce matin. Comme les cheveux commençaient à pousser chez elle, ça devenait un peu du grand n'importe quoi. Alors moi, comme je m'ennuyais, je restais assisse toute la matinée sur la balançoire du jardin. Maman ne revenait toujours pas. C'est alors que je les vois. Ayame et Ayana, toutes deux avec deux jolies petites couettes blondes. « Alors, ça te plaît ? Ne sont-elles pas mignonnes ? » Enchaîna maman. En voyant leurs nouvelles coupes, je souris aimablement à maman en hochant la tête. Soudainement, je me mis à détester mes cheveux blancs et mes yeux vairons.

C'est vraiment des jumelles. Je n'arrive pas à les différencier. Je me sens idiote. Alors, je les appelle toutes les deux, et je les prends comme un ensemble, et non comme deux personnes distinctes. Mais rapidement, j'ai appris à faire la différence. Ayana était souvent malade. C'était la plus faible. Elle restait souvent au lit, et dès l'arrivée de l'hiver, ce fut la première malade.Ah, quelle ironie.

Devant la porte du salon, j'entendis quelques bribes de conversation. Maman parlait avec le médecin. Je n'avais pas tout compris, alors que j'étais penchée derrière la porte, tenant l'équilibre sur un pied. Maman pleurait. On pouvait le voir de dos. Le docteur lui caressait l'épaule pour la réconforter. Moi, je ne savais pas quoi faire, alors, quand il posa son regard sur moi, je m'enfuis dans ma chambre.J’ai fuis, comme une lâche.

Ayana est partit. Voilà ce qu'on nous a dit, à Ayame et à moi. Maintenant, je comprenais. Il m'a suffi de faire le lien avec le fiancé de tatie pour comprendre. Des larmes coulèrent de mes yeux disgracieux, et je tombe car mes jambes ne me tiennent plus. Ayame ne comprend pas. Elle me tapote l'épaule, aussi naïve qu'elle est. Elle comprendra bien plus tard, je n'ai pas la force de lui dire.Je sais bien que je suis lâche.

Elle est bien plus affectée que moi. Perdre sa jumelle, c'est plus troublant qu'il n'y paraît. Ayame en est bien plus affectée que moi. Je n'arrive pas à la cerner. Elle ne veut voir personne. Elle se referme sur elle-même et des fois, je n'arrive pas à suivre ce qu'elle dit. Je trouve qu'elle a dû mal à dire des choses. Maman ne dit rien, elle aussi est affectée par le décès d'Ayana.Maman est égoïste Elle ne se rend pas compte qu'Ayame n'est pas normale. J'essaye de le lui dire, mais c'est difficile. Je pense qu'avec un peu de temps, ça ira mieux. Je l'espère. Papa est trop occupé à travailler pour s'en rendre compte, lui. A chaque fois que j'essaye de lui dire, il me dit avec un sourire fatigué: "Je suis fatigué Ayano, laisse-moi terminer mon travail. Va parler à maman."


Ayame est malade aujourd'hui. C'est vrai qu'il fait froid, cette année. J'avais la grippe moi aussi, la semaine dernière. Maman pense que je l'ai donné à Ayame. Je ne l'ai pas fait exprès pourtant! Je ne voulais pas, je le jure! Apparemment, Ayame aurait des crises de délires à cause de la fièvre. C'est maman qui l'a dit. Je la crois. Elle me tapote la tête et me dit qu'elle va faire des courses. Je lui promets d'être sage, et lui dit que tout ira bien avec Ayame. Elle me sourit, mélancolique, et claque la porte d'entrée. Il y a des moments, où je voudrais pleurer. Des moments où je voudrais m'écrouler par terre, crier jusqu'à ce que l'on me coupe la gorge, pleurer jusqu'à ne plus avoir de larmes, et m'adonner au sommeil éternel. Mais il ne faut pas. Je vois maman qui se force à ne pas pleurer, alors, je fais pareil. Je voudrais retrouver ma petite soeur d'avant. Celle qui souriait. Celle avec qui j'avais tant de complicité avant. Celle que j'aimais tant. De douces larmes coulent sur mes joues; et je les essuie, alors que je suis plantée devant ma porte. Dehors, il neige beaucoup. Et, je voudrais qu'Ayame s'amuse. Tout le monde aime la neige. Alors, je vais la voir, dans son lit, et je lui parle. "Tu viens avec moi jouer dans la neige, dis ?" Elle soulève son visage sans expression. Dans la maison, on n'entend rien, ni personne. Les seules personnes ici, sont Ayame, moi, et le tic-tac de l'horloge. Papa est encore au travail. Ayame hoche la tête. Je suis heureuse, je lui souris et l'aide à se lever. Elle n'a pas l'air si faiblarde que ça. Je lui apporte une veste bien chaude, ainsi qu’une écharpe et des gants. Je veux tout faire pour qu'elle se sente bien. Je prends sa main et allons dehors. Je brise ma promesse. Je suis tellement désolée, mais je veux juste voir un magnifique sourire sur son beau visage blanc, de poupée.

Je m'amuse avec elle. Tout se passe bien. Je vois son sourire réapparaître sur son visage, rapidement, et lui propose une partie de cache-cache dans la neige. Alors que je me cache... J'entends sa voix qui résonne en un grand cri destructeur. Sa voix me déchire le coeur. Je n'ose pas bouger. Des larmes coulent de mes joues. Pourquoi crie-t-elle ainsi? C'était elle fait mal? Elle a un problème! J'ai un problème! Tout mon malheur coule dans mes larmes. Je cours dans la neige. Je sors de ma cachette rapidement, et je cours, tout est si silencieux... Personne ne viendra me sauver. Personne ne la sauvera ici. Elle crie, elle pleure. Elle se débat dans le vide, je ne sais quoi faire. Elle est en proie à la folie. Elle court vers moi, et me frappe. Je ne comprends pas, je me débats. Pourquoi me frappe-t-elle? Je voulais juste la voir sourire une seconde fois. Que l'on m'explique! Je crie. Ma voix s'élève en l'air, mais ici, personne ne m'entend, personne ne vient. Ayame, pourquoi? Arrête! S'il te plaît... Je voulais juste te voir sourire... Ayame, s'il te plaît... Elle me frappe encore! Elle me fait mal, et je l'entends crier dans le vide. Elle dit des paroles sans queue ni tête, et alors qu'elle porte ses mains sur mon cou, et le serre, elle crie une nouvelle fois, les larmes aux yeux, mais un cruel sourire aux lèvres: "JE VAIS TE BRISER. TOUTE CETTE VIE QUI EST TIENNE, JE LA RÉDUIRAI A NEANT. C’EST-CE QUON ME DIT" Je tire sur ses poignets, et je m'enfuis dans la maison. J'ai peur. Que va-t-elle me faire? Pourquoi? Pourquoi?

Maman me demande qu'est-ce que j'ai sur le cou. Je n'ose pas lui dire que c'est Ayame qui m'a étranglée, hier. Je baisse la tête, j'ai les larmes aux yeux. Je ne sais pas quoi lui dire, et elle exige des explications. Je plonge ma tête dans ses genoux. Je pleure encore. Elle lève la voix, je déteste ça. Je lui dis d'une petite voix étouffée.
"Aya... C'est Ayame..."


"Ayame et moi, on va voir le docteur. Soit sage, d'accord? Et puis, si il y a un problème, tu appelles papa." Elle me tapote gentiment la tête, et prend Ayame par la main avant de franchir le seuil de la porte et de claquer celle-ci. Un silence de mort prend place dans la maison. Papa est dans le bureau, et bien que je m'avance dans la même pièce que lui, il ne me regarde pas. Un coup de fil vient m'arracher de mon ennui. Papa sursaute et me dit d'aller répondre. Je lui obéis. Il n'aime pas qu'on le dérange dans son travail. Je cours maladroitement vers le combiné, et je m'en saisis avant de dire "Allllllôôôôô...?"

Je raccroche et vais voir papa. Je lui tire la manche, et bien que je le voie énervé, je lui dis d'une petite voix.
"Tatie est tombée de cheval. On m'a dit qu'elle était dans un état végétatif... C'est quoi ça, un état végétatif, papa?" Au fond, il savait très bien que je ne voulais pas le savoir. Et je savais très bien que ce n’était pas bon pour elle. Papa me prend dans ses bras, et je pleure longuement, tandis que lui, reste figé dans le vide. Il ne réalise pas encore, visiblement...

"Je suis revenue !" Dans ma petite chambre froide, je contemple le vide, il pleut dehors. Il fait nuit. Une pluie froide nocturne frappe les carreaux de la fenêtre. Je ne sais quoi faire, lorsque maman arrive. Je fixe le vide. Voilà, c'est parfait. Elle vient m'embrasser le front joyeusement, et s'enferme dans le bureau avec papa, pour parler d'Ayame. D'ailleurs, celle-ci vient se poser sur mon lit, et pose sa main sur mon épaule. Elle a toujours ce visage si neutre, et me chuchote soudainement à l'oreille. "Je dois te parler de quelque chose."

C'est la première fois que j'ai autant parlé avec ma soeur, depuis le décès d'Ayame. Ça me fait plaisir. Même si je sais que le lendemain, tout, absolument tout, s'envolera. Tout à l'heure, en allant dans la salle à manger, je vois maman qui parle avec papa, et elle a les larmes aux yeux. Je pense à Tatie, et je me mets à pleurer aussi. En fait, papa aussi pleure. Et il a demandé à maman quelque chose pour Ayame…

« Ayame, elle a quoi, maman ?
- Ayame, elle est schizophrène ma chérie.
- Et c’est quoi schizophrène ?
- Demande à papa.» Je m'exécute. Je vais voir papa pour qu'il me dise ce que c'est. C'est juste un stratagème pour échapper à la douleur. C'est lâche. Je pousse la grande porte du bureau, et il me regarde toujours avec ce regard lassé. Lassé de la vie. Je penche la tête et lui sourit. Je veux lui remonter le moral. Il me demande ce que je veux, alors je me lance, non sans avoir un peu peur.
"Papa, c'est quoi la maladie qu'elle a, Ayame?" Il me dit de m'approcher, et commence à chuchoter. C'est vrai, elle est dans la pièce à côté. Ses paroles me détruisent. Le peu d'âme qui restait dans mon corps souillé est détruit.
"Ayame, mon coeur, elle est schizophrène. Ça veut dire qu'elle voit des choses que nous, nous ne voyons pas. Et ces choses lui demandent de nous faire du mal, sinon ils le feront à sa place ou s'attaqueront à elle.
- Ca veut dire qu'Ayame a un pouvoir?
- Non. Ça veut dire qu'elle a des hallucinations.
- Et elle reviendra comme avant?
- Non, plus jamais." Je reste fixe. Je le hais. Il baille et me caresse la joue avant de repartir dans son travail qui me semble sans fin. Je m'en vais, la tête basse. Je cours, je m'enfuie dans ma chambre. Moi non plus, je ne veux plus voir personne. Je vous hais. Je me hais. Je regarde mes cheveux blancs, assise sur mon lit. Je prends un miroir entre mes mains. Dans celui-ci, je vois une jeune fille hideuse, elle porte des cheveux fins et tombants comme ceux des personnes âgées, et au lieu d'avoir de magnifiques diamants bleus comme sa sœur, elle, portait d'hideux yeux vairons, qui n'ont rien à voir entre eux. Il lui donne un air étrange. Je jette avec violence le miroir qui se brise contre le mur en mille éclats. Je porte mes mains à mon visage, tremblante, et un surplus d'émotions jaillissent en moi. De la haine, de la tristesse, de la jalousie. Ma soeur. Ma tante. Pourquoi toutes les personnes auxquelles je tenais sont parties en fumée? Dans un autre monde? Autre que le mien? Je voudrais tellement, juste une fois, laissez-moi la chance de... De...


De renaître.

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